Christophe Leguevaques Avocat barreau Paris-Toulouse
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UBER Eat : quelques précisions pratiques concernant l'action collective en faveur des livreurs à vélo


Avec l'aimable autorisation de l'auteur, nous reproduisons l'interview paru dans le magazine CHALLENGES.



Challenges - Vous avez lancé mardi sur votre plateforme MySMARTCab un appel à tous les livreurs Uber  Eats souhaitant voir requalifier leur contrat commercial en contrat de travail, dans le cadre d'une action collective. Comment en êtes-vous arrivé là?

Christophe Lèguevaques - C'est un étudiant en droit à Toulouse, également livreur pour Uber Eats pour financer sa scolarité, qui nous a contactés car il s'estimait lésé par la plateforme. Pour vous donner un ordre de grandeur, l'année dernière, il gagnait environ 700 euros par mois grâce à Uber Eats alors que cette année, pour les mêmes nombres de courses et durées de connexion, ses revenus ont chuté à 200 euros en moyenne. Et ce, en recevant toujours plus d'instructions et de consignes de la plateforme, avec des conditions de travail de plus en plus précaires. Raison pour laquelle il souhaite obtenir une requalification de son contrat en contrat de travail  pour obtenir réparation.

Est-ce lui qui est à l'origine de l'action collective ou vous?
Au départ, il nous a demandé de traiter son dossier personnel. Il nous a montré de manière très précise comment fonctionnait la plateforme -et son algorithme- qui, par exemple, vous empêche de refuser une course dès lors que vous êtes connecté, vous donne l'adresse du restaurant sans vous transmettre ni l'adresse de livraison, ni le prix de la course, et donc ne vous laisse pas de véritable liberté de choix. Une plateforme qui peut également vous sanctionner unilatéralement en vous déconnectant partiellement ou définitivement sans justification, dès lors que vous n'avez pas atteint d'objectifs suffisants. Bref, un faisceau d'indices qui nous a permis de caractériser un lien de subordination et nous a poussés à envisager plutôt l'action collective.

Quel est l'intérêt de recourir à l'action collective conjointe?
Comme nous avons pu le faire sur d'autres dossiers sur les compteurs Linky  et le Lévothyrox, j'ai vite compris le potentiel et l'intérêt d'agir de manière coordonnée. Les actions individuelles sont des piqûres de moustique qui n'inquiètent pas Uber.
Mais si plusieurs centaines de contrats sont requalifiés en même temps, cela peut entraîner une réaction en chaîne en droit social: à savoir, l'obligation de mettre en place un comité social et économique (CSE), d'organiser l'élection de délégués du personnel, de respecter la convention collective du secteur... Donc, d'assurer un minimum de protections et de garanties à ses travailleurs, dont ils sont pour l'heure exclus.

Concrètement, comment fonctionne cette procédure?
Cela nous permet de saisir la justice une seule fois à la fois sur le fond -à savoir le lien de subordination caractérisé- puis dans un second temps sur les cas individuels. Le tout dans un délai de cinq ans maximum si nous allons jusqu'à la Cour de cassation. 

Pour l'heure une vingtaine de livreurs ont rejoint votre action. Quelles sont leur motivations? Veulent-ils réellement tous devenir salariés d'Uber Eats?
On peut dire qu'il y a deux catégories qui se dégagent pour le moment. Certains sont étudiants, et voient dans notre action un moyen d'être indemnisés et donc de pouvoir financer une partie de leurs études. Les autres ne souhaitent pas forcément devenir salariés mais ils en ont marre d'être précaires. L'un des livreurs que nous représentons a eu un accident de vélo lors d'une de ses courses. Résultat, trois mois d'immobilisation, sans revenu ni aucune prise en charge de la plateforme, qui représentait l'essentiel de ses revenus. Uber Eats fonctionne grâce à un système de fictivité d'indépendance qui repose en réalité sur la précarité des livreurs.

Si Uber Eats délivrait un certain nombre de garanties et de protections à ces travailleurs indépendants, la justice pourrait justement leur reprocher de se comporter comme un employeur, non?
C'est évidemment l'une des questions centrales du débat plus global sur le statut de ces travailleurs et ces plateformes de travail. Nous utilisons l'arme judiciaire pour servir d'aiguillon et faire avancer le droit et la justice à notre niveau. 

Quel est votre objectif?
Nous espérons réunir 500 livreurs d'ici au 30 octobre 2019. Puis, nous essayerons dans un premier temps de négocier une indemnisation avec Uber Eats début 2020. S'ils refusent de négocier, nous les poursuivrons devant le conseil prud'homal de Paris.
Nous espérons ainsi obtenir des indemnisations d'au moins 10.000 euros par livreur, sachant que celles-ci varieront d'un travailleur à un autre en fonction de son ancienneté, de ses revenus moyens... Nous sommes confiants car plusieurs récents arrêts vont dans notre sens. 

En novembre 2018, la Cour de cassation a par exemple reconnu pour la première fois le lien de subordination entre un livreur et la société de livraison de repas Take Eat Easy  [aujourd'hui liquidée]. En janvier 2019, un arrêt de la cour d'appel de Paris a fait de même pour un chauffeur Uber, estimant que ce qui les unissait était bien un contrat de travail.

Que ferez-vous si vous n'atteignez pas le seuil de 500 livreurs?
Nous envisagerons peut-être de rallonger la deadline. Pour y parvenir, nous allons essayer d'organiser des rencontres avec des livreurs Uber Eats dans des grandes villes dès septembre. Le problème dans le système Uber c'est qu'il joue sur une division absolue de ses travailleurs qui n'ont aucun lieu pour échanger ou se mobiliser collectivement.
Si nous avons moins de 500 livreurs, l'action collective sera difficilement envisageable. Dans ce cas, nous stopperons tout et nous rembourserons les livreurs nous ayant rejoint.

Combien vous rémunèrent-ils pour les défendre?
Chaque livreur nous règle 60 euros TTC d'honoraires, puis nous toucherons 15 % hors taxe (soit 18% TTC avec un TVA à 20 %) d'honoraires de résultat si nous gagnons. Ce qui est très peu, sachant que pour un dossier individuel de ce type, il faut compter environ 2.000 à 4.000 euros en moyenne. En revanche, si nous n'atteignons pas le seuil que nous nous sommes fixé, nous ne pourrons néanmoins pas les défendre individuellement à ce tarif. Tout dépendra alors de si certains seront prêts à engager les sommes classiques pour ce type de cas personnels.

Avec la plateforme et l'action collective, l'idée est ainsi de démocratiser l'accès à la justice face à des groupes comme Uber qui sévissent en toute impunité. D'ailleurs nous n'excluons pas d'engager d'autres actions de ce type à l'encontre d'autres plateformes comme Deliveroo par exemple.

Cette procédure ne risque-t-elle pas d'exposer les livreurs au détriment de leur activité, quand bien même est-elle précaire?
C'est la raison pour laquelle nous ne dévoilerons leur nom que dans le cas d'une éventuelle action en justice. L'idée n'est pas de les envoyer au casse-pipe.

Et si Uber Eats décidait de déconnecter l'un d'entre eux de la plateforme d'ici là, le groupe s'exposerait à une poursuite de plus pour licenciement abusif, qui viendrait gonfler la note côté dommages et intérêts. 

Sources : https://www.challenges.fr/economie/social/une-action-collective-de-livreurs-contre-uber-eats-en-cours-de-preparation_665985





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Christophe Lèguevaques


Avocat au barreau de Paris - Docteur en droit


PARIS

82 rue d’Hauteville - 75010 Paris
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Christophe Lèguevaques est membre-fondateur de METIS-AVOCATS AARPII - Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle Inter-barreaux


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