DEXIA/SFIL - Prêt toxique : de Charybde en Scylla où comment éviter de tomber dans le piège de la négociation forcée ?





Certaines collectivités particulièrement en pointe dans le combat sur les prêts toxiques, « dealés » par DEXIA entre 2005 et 2010, annoncent à grand renfort de publicité sortir du « piège des prêts toxiques » .
 
Les informations publiques communiquées à cette occasion permettent de douter du bienfondé de cette affirmation. En effet, on focalise l’attention sur une simple question : le passage du taux d’intérêt variable et instable (qui flirte avec les 15 % pour l’année 2015, soit trois fois le taux de l’usure) à un taux fixe pour la durée du contrat. Si cette question est certainement importante, elle ne doit pas dissimuler la question passée sous silence de l’indemnité de remboursement anticipé (IRA) que la collectivité doit payer pour opérer cette substitution de taux.
 
Et là, le plus grand mystère demeure. Le silence devient suspect lorsque l’on connait le luxe de détails de la clause de confidentialité imposée par DEXIA/SFIL en violation évidente avec les règles élémentaires de transparence propres à une démocratie avancée.
 
Si les élus locaux ne veulent pas grever les finances publiques en obérant durablement leur capacité d’investissement, tout en laissant aux générations futures des charges iniques qui ne profitent qu’à certains financiers souhaitant générer en 2014 les bonus qui leur seront réglés en 2015, ils doivent se prémunir de quatre pièges dans la négociation qui les attend avec DEXIA/SFIL.
 
Au-delà de ces quatre pièges, ils devront résister à l’amicale pression des préfets et des directeurs des finances publiques qui relaient les efforts imposés par Bercy. Certains élus vont jusqu’à parler de chantage tant le ton doucereux de certains représentants de l’Etat est lourd de menaces sur les dotations futures.
 
  Piège n° 1Détermination de l’indemnité de remboursement anticipé (IRA) L’enjeu des différentes procédures en cours porte non seulement sur la question de savoir si le gouvernement peut trafiquer la loi pour servir ses intérêts et ceux des marchés financiers mais également de savoir s’il existe une cause légitime à l’IRA. Nous avons déjà expliqué comment, pour les crédits à la consommation, la loi est venue protéger, depuis 1978, les consommateurs en plafonnant cette IRA sans que cela affaiblisse le système bancaire français. (http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-96557-monsieur-valls-comment-economiser-au-moins-17-milliards-deuros-1007310.php)


Dans les contrats DEXIA, il est impossible de déterminer objectivement cette indemnité.
 
Qui plus est, il est indispensable d’identifier les banques chargées de « coter » cette IRA. En effet, si la banque présentée comme indépendante est également la banque qui doit bénéficier de l’IRA : comment peut-on être certain de la loyauté de cette cotation ? Si l’expert indépendant qui détermine le prix est également celui qui le perçoit, il n’est plus un expert, il est un acteur en situation de conflit d’intérêts.
 
Car il faut bien comprendre une chose, DEXIA/SFIL n’est qu’une interface entre l’emprunteur (la collectivité) et le marché qui propose ou souscrit les contrats financiers (swap de taux ou de devises) tapis dans les contrats de prêts (et qui expliquent les formules sophistiquées et le caractère « toxique »).
 
Bien sûr, au nom du secret des affaires, DEXIA refuse de révéler l’identité de la banque contrepartie du contrat de prêt et encore moins celle de l’entité qui détermine l’IRA.
 
Quant au mode et aux paramètres de calcul de l’IRA, c’est une boite noire, opaque par définition, empêchant tout contrôle objectif ou toute vérification élémentaire (le choix d’un centième d’indice peut modifier considérablement le résultat mathématique en raison, par exemple, du taux d’actualisation). Les chiffres ne sont pas neutres. C’est une illusion de prétendre le contraire. Suivant le choix opéré, on influe sur le  résultat final.
 
En droit, nous sommes en présence soit d’une indétermination de l’obligation soit d’une condition purement potestative. Dans les deux cas, la sanction de ce vice rédhibitoire est la nullité de l’indemnité qui asservit la volonté d’une partie au bon vouloir de l’autre.
 
Ainsi au moment de déterminer le montant de l’IRA, l’asymétrie de l’information entre un sachant (la banque) et un non professionnel (la collectivité) se perpétue sous la pression des pouvoirs publics de telle sorte que se pose alors la question de l’autonomie financière des collectivités locales.
 
Dès lors, le premier réflexe a adopté est simple : l’IRA, à la supposer causée, doit faire l’objet d’une cotation par des établissements de crédits qui ne sont pas liés directement ou indirectement à  son paiement.
 
  Piège n° 2Le taux fixe dissimule la marge anormale de la banque. Le taux normal de marge d’une banque correspond au prix de la couverture du risque qu’elle prend avec l’emprunteur, auquel s’ajoutent dans une moindre mesure son coût de financement et la couverture de ses frais de fonctionnement.
 
Ainsi, il est usuel de déterminer le taux (même fixe) en fonction d’un taux de marché auquel s’ajoute une marge. Dans les conditions de marché de cette fin 2014, cette marge comprise entre 40 points de base (emprunteur d’excellente qualité) à 150 points de base (emprunteur de moindre qualité).
 
On compare classiquement un taux fixe au coût actuel de financement de l’Etat sur les marchés.

A titre d’exemple, au 1e décembre 2014, les obligations de l’Etat français (OAT 10 ans) sont à 0,9710 %, soit un taux de marché de l’ordre de 1 % l’an pour 15 ans amortissable.


En étant très généreux avec DEXIA/SFIL (mais pourquoi ?), on peut considérer que tout taux fixe supérieur à 2,50 % (OAT 10 ans + Marge = 1% +1,50%) l’an est exagéré.
 
En effet, rien ne justifie de faire supporter à une collectivité française, bénéficiant de la garantie indirecte de l’Etat une marge réservée d’ordinaire à un client risqué.
 
Par ailleurs, gardons en mémoire que le taux de l’usure aux personnes morales n'ayant pas d'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale pour un prêt d’une durée de 2 ans est de 4,53 % l’an (au 1er octobre 2014). C’est le taux maximum pouvant être appliqué à tout contrat conclu aujourd’hui. Dès lors, si votre banquier vous propose un TEG proche de 4,53 %, dites-vous qu’il s’apparente plus à un usurier qu’à un prêteur.
 
  Pièce n°3le taux d’intérêt masque la prise en charge par l’emprunteur du coût de la restructuration Tout taux fixe supérieur à ce plafond de marge normale masque le fait qu’au final c’est l’emprunteur qui supporte le coût de la restructuration, la banque ne supportant aucun effort réel suivant le bon vieux système des vases communiquant.
 
Autrement dit, lorsque le taux est supérieur à 2,5 % (au 1er décembre 2014), cela signifie que la banque perçoit un profit pur (sans risque) ce qui lui permet d’apparaitre généreuse en ristournant tout ou partie de l’IRA. C’est la même mécanique que celle pour un commerçant d’augmenter ses prix de 50 % avant d’annoncer, le jour d’après, la main sur le cœur et à grand renfort de publicités voyantes qu’il solde ses produits à 30 %.
 
C’est une tromperie d’autant plus caractérisée que l’information communiquée est toujours parcellaire et déloyale.
 
  Pièce n° 4Au final, après restructuration, les échéances mensuelles sont supérieures à celles qu’elles étaient avant l’envolée des indices.  
Prenons un exemple chiffré pour tenter de comprendre
 
Coût du crédit sans changement (évaluation)
Compte tenu de la durée du prêt, le taux d’intérêt étant variable et la formule complexe, on peut considérer que cela équivaut à un intérêt de 9 % l’an en moyenne sur les quinze prochaines années (soit le double du taux usuraire actuel).
  Le Capital restant dû (CRD) est de                                 1.600 k€ La durée résiduelle du prêt est de                      15 ans Taux moyen sur CRD et durée                             9 % / l’an Coût du crédit (total des intérêts payés)            1.321.088 € Echéance annuelle                                                 194.736 €
 
Coût du crédit après renégociation.
La négociation porte sur deux éléments Obtention d’un taux fixe – Nous retiendrons un taux fixe de 4.5 % (un cheveu en dessous du taux de l’usure) Paiement d’une IRA – Dans les précédentes cotations, l’IRA était égale à 120 % du CRD. En admettant que dans un « geste commercial » DEXIA/SFIL accepte de réduire l’IRA  de 30 %, l’IRA à rembourser serait alors de 1.344 k€ (= 120 % du CRD (1.600) – 30 %)  
Au final, la Commune devrait rembourser le CRD + l’IRA. En effet, le paiement immédiat de l’IRA est la condition sine qua non du passage d’un taux variable et volatil à un taux fixe et constant.
  Le CRD restructuré est de                       2.944 k€ (1.600 + 1.344) La durée résiduelle du prêt est de                      15 ans Taux d’intérêt fixe                                     4.5 % / l’an Coût du crédit (total des intérêts payés)           1.109.852 € Echéance annuelle                                      270 252 €  
Par cet exemple, volontairement caricatural mais particulièrement clair, on se rend compte que DEXIA/SFIL opère un véritable tour de passe-passe, si on accepte de ne regarder d’autres paramètres que le seul taux fixe.
 
La banque ne réalise aucun effort. Le crime en col blanc paye. Passons sur l’aspect moral de cette situation et restons face à la froide évidence des chiffres.
 
Pour essayer de faire passer la pilule, le gouvernement a mis en place un mécanisme de prise en charge de l’IRA. La loi de finances pour 2014 prévoit, en effet, la création d’un fonds de garantie qui peut prendre en charge « jusqu’à 45 % » de l’IRA. Ce fonds sera doté d’un montant de 1,4 milliard d’euros pour retraiter un encours de 17 milliards, il risque donc d’être sous-dimensionné. Présenté autrement, la prise en charge à hauteur de 45 % sera l’exception et la contribution sera plutôt de l’ordre de 10 à 15 % de l’IRA.
 
Mais même dans cette situation, les collectivités se retrouvent dans la situation troublante de devoir payer (très cher) pour avoir le droit de rembourser leurs dettes et de retrouver leur liberté de choix.
 
Car, dans l’exemple ci-dessus, tout le monde peut comprendre que la négociation est contre-productive puisque la collectivité supporte au final 75.000 euros supplémentaires (270.252 – 194.736). En termes de contribution à l’économie réelle, l’impact est  tout sauf neutre, en ces périodes déflationnistes. En effet, en disposant de 75.000 €, la collectivité peut investir, venir en aide aux plus démunis ou baisser les impôts locaux pour améliorer la compétitivité de son territoire (et je laisse à chacun le soin d’apprécier ce que l’on peut réaliser en une mandature en disposant de 75 k€ supplémentaires… chaque année !).

 
De plus, quand on sait que le contentieux peut avoir un effet « ardoise magique » en effaçant les intérêts dispendieux imposés par des contrats obscurs et inégalitaires, les collectivités devraient y réfléchir à deux fois avant d’accepter les négociations proposées par DEXIA/SFIL.
 
La Justice permet de rétablir le rapport de force et de limiter les effets mortifères des contrats iniques.
 
Autre solution, un « Victor-Schœlcher » du 21ème siècle viendra nous affranchir d’un droit qui nous réduit à l’impuissance et au renoncement. Car faut-il le rappeler en France, jusqu’en 1848, il existait des lois et des jurisprudences qui organisaient savamment l’esclavage (par exemple, Mohammed Aïssaoui, L’affaire de l’esclave Furcy, Gallimard, 2005) refusant de voir ce qui nous parait aujourd’hui être une évidence : la loi du plus fort ou des propriétaires n’est pas la justice.
 
 
 
 
 




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