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Contre le décret TES - dépot du mémoire introductif devant le Conseil d'Etat


L'action collective #2 de la plateforme mySMARTcab "60 Millions de suspects, et moi, émois ?" continue.
Il est toujours possible d'intervenir volontairement à l'action en rejoignant les premiers plaignants.

Pour en savoir plus : www.mysmartcab.fr



Tout d’abord, les Requérants tiennent à préciser qu’ils n’entendent pas contester la légitimité de l’objectif de contrôle et de lutte contre la fraude aux documents administratifs, cause principale de la finalité avancée pour la création des Titres électroniques Sécurisés (TES).
 
En revanche, les Requérants n’acceptent pas que le décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 instaurant une base centralisée des Titres électroniques Sécurisés (TES)  :
  viole les principes fondamentaux découlant des différentes déclarations et charte des droits et des exigences législatives européennes et   constitue, ainsi, une atteinte disproportionnée aux libertés publiques.  
En effet, la création d’une base centralisée de données comprenant des informations biométriques sur la très grande majorité des citoyens Français (plus de 60 millions de citoyens majeurs comme mineurs) constitue une source d’inquiétude pour les libertés publiques, compte tenu de son ampleur.
 
Les justifications gouvernementales (françaises mais aussi d’origine étrangère par le biais des échanges d’informations, en application des accords de Schengen ou de certaines autorités, américaines par exemple) tout comme la technologie, permettront, le moment venu, de faire évoluer la finalité initiale de la création de cette base de données pour contrôler, dans un premier temps, les allers et venues des citoyens ; puis, par le mécanisme d’interconnexion des fichiers, de contrôler le comportement de tout un chacun, sans le moindre intérêt légitime.
 
La diffusion volontaire ou non, le piratage d’une base unique et centralisée ou l’utilisation extensive des données biométriques ainsi collectées et conservées dérivant des finalités premières constitue un risque majeur pour la démocratie et l’Etat de droit.
 
       En étudiant le droit européen, issu notamment de l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenNE, nous verrons comment la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) n’hésite pas à faire prévaloir les libertés publiques, y compris en présence de textes visant à lutter contre le terrorisme.

         La meilleure défense contre l’idéologie totalitaire portée par les terroristes n’est-elle pas de résister à la tentation d’une dérive sécuritaire niant le patient et long travail d’émergence d’une démocratie avancée et apaisée ?
 
 
         Par ailleurs, l’histoire française permet d’affirmer que, dans un passé pas si lointain, des fichiers de données personnelles ont pu être une source d’arbitraire et de mesures aussi coercitives qu’indignes des Lois de la République [1].
 
          A ce titre, il n’est pas inutile de rappeler certains arguments développés par les parlementaires à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel contre la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité et dont certains sont devenus membres du gouvernement ayant promulgué le Décret n° 2016/1460 pris en application de cette même loi :
 
Les requérants considèrent qu'en effet, la création du fichier telle qu'inscrite à l'article (5) de la loi porte non seulement une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée, mais porte également en germe la destruction pour l'avenir des possibilités d'exercice effectif du droit fondamental de résistance à l'oppression, corollaire indispensable de la liberté individuelle elle-même. (…)
 
Les auteurs de la saisine souhaitent attirer votre particulière attention sur les risques que feraient courir pour l'exercice effectif du droit de résistance à l'oppression l'institution d'un tel fichier généralisé de la population avec la technique du « lien fort ». (…)
 
Ils reconnaissent (…)  que ce n'est pas, par elle-même - selon une formule qui vous est familière - ni dans l'immédiat, que la disposition ici disputée menace l'exercice de ce droit.
 
Aucun de ces deux éléments ne devrait pourtant conduire à balayer sans un examen approfondi le moyen tiré de la remise en cause de l'exercice effectif du droit de résistance à l'oppression. D'abord parce que les incertitudes sur sa justiciabilité ne font pas moins de la résistance à l'oppression un droit, inscrit à l'article 2 de la Déclaration des droits de 1789 parmi les quatre « droits naturels et imprescriptibles de l'Homme », et même un droit positif auquel votre haute juridiction a expressément reconnu pleine valeur constitutionnelle.
 
Ensuite parce que le droit à la résistance à l'oppression est à la fois le fondement et la conséquence des autres droits de l'homme. Comme le relève la Professeure Geneviève KOUBI : «Le paradoxe du droit de résistance à l'oppression est ainsi entièrement contenu dans cette confrontation entre l'exercice d'un droit et le système de droit. Dans cette perspective, la résistance à l'oppression est un droit de l'homme qui s'exerce contre le système de droit, - système qui, au lieu de permettre l'élaboration de lois garantissant les droits et protégeant les libertés, contribue à l'édiction de normes leur portant une atteinte caractérisée. Expression d'un droit au respect du droit énoncé par les individus à l'endroit des pouvoirs publics, le droit de résistance à l'oppression s'avère effectivement être la conséquence des autres droits de l'homme. Il en est le fondement en ce qu'il engage les gouvernements dans la voie des révisions radicales. C'est ainsi que le droit de résistance à l'oppression est un droit de l'homme. Il est un droit "hors-la loi" certes, il est un "droit hors le droit". La résistance à l'oppression a donc sa place en droit justement pour que soit assurée la cohérence du droit ».
 
D'ailleurs, ce droit a reçu des consécrations dans d'autres instruments juridiques que notre Constitution, soit dans des instruments internationaux, soit dans d'autres constitutions.
 
Ainsi la Déclaration universelle des droits de l'homme rappelle-t-elle « qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression ».  (…)
 
Enfin, parce qu'il est d'une évidence absolue que le respect de ce droit ne peut par définition être garanti dans le cadre d'un régime oppressif, il appartient nécessairement à un régime démocratique d'en assurer les conditions d'exercice pour l'avenir.
 
        C’est pourquoi, eu égard aux principes fondamentaux rappelés par le Conseil constitutionnel, face aux risques prochains d’évolution a-démocratiques de nos institutions, les Requérants souhaitent limiter l’usage des informations biométriques dans le cadre qui a été tracé pour l’Union Européenne afin d’éviter une dérive nationale attentatoire aux libertés fondamentales et sources de discriminations à l’intérieur de l’Union européenne.
 
En conséquence, il est demandé au Conseil d’Etat, garant de l’Etat de droit, d’annuler le Décret n° 2016-1460 pour excès de pouvoir.
 
 
[1]     Jean-Marc FEDIDA, L’horreur sécuritaire, les trente honteuses, Editions privé, 2006, p. 103 et s. « Ainsi, l’autorité publique a-t-elle franchi le pas et admis qu’à l’horreur du 11 septembre il convenait de répondre par une autre horreur sécuritaire, celle-là, à savoir la biométrie.  On peut dire sans déformer la réalité que les nazis l’ont rêvé et que nous l’avons fait ; en tout cas, nous l’avons toléré sans que cela ne pose le moindre débat de société, on osera même dire dans la sérénité et l’indifférence quasi-générale. (…)
      Il reste alors que les moyens de la loi reposaient sur une identification par le nom de l’individu et par le recours à l’état civil. Certains, trop rares, eurent la possibilité d’échapper aux rafles et aux déportations grâce à l’imperfection des moyens de contrôle. A l’heure de la biométrie, de tels sauvetages n’auraient pu avoir lieu ainsi que le soulignent les rares sociologues qui ont bien voulu se pencher sur la question (…)
      En mettant au rencart notre vieil état civil, certes poussiéreux mais qui avait pour le moins fait ses preuves en termes d’identification et de préservation des libertés, au profit de moyens technologiques avancées pour parvenir à l’identification de l’individu, on a ouvert une nouvelle ère, sans tirer les leçons des expériences passées, persuadés que des événements politiques du type de ceux qui se sont produits il y a soixante ans ne pouvaient se reproduire (…) Dans un proche avenir, à n’en pas douter, ces moyens d’identification et de contrôle seront en vigueur et dévoileront les éléments intimes de notre être. Cette dérive révélatrice de ce que notre société à la fois envisage désormais comme état de guerre intérieure et s’estime être dans l’urgence de se créer des armes contre cette menace intérieure pourtant si floue si indistincte, témoigne par le choix de ses supports technologiques le droit désormais reconnu de la puissance publique de suivre le citoyen dans tous ses faits et gestes. Elle consacre le principe de la suprématie de la puissance publique sur le citoyen. »