Christophe Leguevaques Avocat barreau Paris-Toulouse
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Lettre ouverte à MM. Moscovici et Hamon sur le projet de « class action » à la française




Lettre ouverte à MM. Moscovici et Hamon sur le projet de « class action » à la française
Messieurs les ministres,
 
Le gouvernement français, respectant un engagement du candidat Hollande, s'est décidé à présenter une loi sur l'action collective. Dans votre exposé des motifs,  vous affirmez que « instaurer l’action de groupe, toujours promise mais jamais mise en œuvre, est ainsi devenu une priorité politique pour le Gouvernement ». On ne peut que se réjouir de cette profession de foi, tant l'action collective a mauvaise presse en France. En effet, depuis de nombreuses années, les médias sont abreuvés par les lobbies industriels et financiers sur les dangers que recèlerait l'introduction en France d'un droit venu d'outre-Atlantique.
 
            Pour contrer la petite musique diffusée par le Medef, il suffit de mesurer l’effet bénéfique pour l'économie en général et pour les consommateurs dans les grands pays industriels où l’action collective existe. Ainsi, cela permet de réintroduire de l'aléa moral, là où les dérégulations successives l'ont chassé. De cette manière, les pollueurs, les industriels indélicats et autres traders enivrés de leur propre cupidité savent que leur comportement nuisible à la communauté pourra leur être reproché a posteriori, ce qui est mieux que l'immunité dont ils jouissent trop souvent.
 
            En effet, comme le rappelait déjà un rapport du Sénat en 2005, « l’action collective constitue un choix de société [car] il s’agit de permettre à des plaignants de se regrouper pour faire valoir collectivement  des droits à dommages et intérêts à l’encontre d’une seule et même personne réputée être l’auteur d’un ou plusieurs préjudices subis par chacun d’entre eux ».
 
            Pour autant, votre projet de loi souffre de trois faiblesses fondamentales qui, si elles n’étaient pas corrigées, permettraient à certains mal intentionnés de de s’interroger : souhaite-t-on vraiment « rétablir une forme d’égalité des armes entre les acteurs économiques » ou promulguer, encore une fois, une loi d’affichage dont l’efficacité sera limitée ?
 
Première faiblesse, qui peut agir dans l'intérêt de tous ? – Présenté comme un moyen d’éviter les dérives des avocats « à l’américaine », le mécanisme mis en place instaure un monopole de représentation en faveur d’associations de consommateurs agréées à l’échelle nationale.  Ce filtre constitue une marque de défiance à l’égard des avocats. Pourtant, loin de toute défense d’intérêts corporatistes, ce choix paraît tout à la fois en contradiction avec la loi elle-même et son efficacité. En effet, le projet affirme vouloir « lutter contre les rentes » et dans le même temps en instaure une nouvelle… De plus, le nombre d’associations de consommateurs étant limité, leurs modes de gouvernance pouvant être détournés, un tel système pourrait conduire à des ententes contre-nature, à l’opposé du but poursuivi par la loi. Enfin, devant la durée d’une telle procédure, les associations auront-elles les reins assez solides pour résister à l’usure du temps que les puissances économiques savent acheter à coup de millions ?
 
Deuxième faiblesse, un champ d'application réduit comme peau de chagrin – C’est certainement le défaut le plus grave de votre projet. L’action collective est réservée aux « litiges nés des conditions de formation et d’exécution des contrats de consommation, ainsi que pour certains litiges de concurrence ». Et pour que les choses soient claires, le projet de loi exclut expressément les préjudices écologiques et moraux ainsi que les dommages corporels. Exit les actions collectives en responsabilité. Exit les actions contre les industriels, les pollueurs ou contre… l’Etat. Dans les dossiers AZF, irradiés, prothèses mammaires, Erika, Médiator, mais aussi « prêts toxiques » ou gaz de schiste, mon expérience me fait regretter l’inexistence d’une telle action dans notre droit. En effet, c’est l’outil le plus efficace pour permettre  aux victimes éparpillées de rivaliser avec les puissances économiques ou politiques coalisées. En renonçant à porter ce glorieux combat pour l’intérêt général, le gouvernement signe un acte de reddition devant les « féodalités économiques et financières ».
 

Pourtant le 6 février 2012 au Théâtre Déjazet devant les membres du Club Droit Justice et Sécurité[1], François Hollande alors candidat avait prononcé un discours très clair et sans équivoque : « Avec l’action de groupe, des citoyens victimes d’un même préjudice – que ce soit en matière de consommation, en matière de santé, de concurrence, de construction, d’environnement – pourront obtenir réparation au lieu de renoncer, comme aujourd’hui, faute de pouvoir se lancer seul dans une procédure compliquée et coûteuse ».
 
Vous relèverez au passage le glissement sémantique : de la défense des citoyens, nous sommes passés à celle des seuls consommateurs. Là, où le candidat envisageait de consacrer un nouveau mode d’action propre à renforcer les libertés publiques, le gouvernement propose un texte rachitique où l’ampleur de la réforme est vidée de sa substance. Alors, MM. Moscovici et Hamon revenez à l’ambition initiale et ouvrez le champ des possibles…
 
Troisième faiblesse, une boite à outils incomplète – l’action collective n’est pas suffisante en soi pour rétablir l’égalité des armes face à des groupes structurés et puissants. Il manque trois  autres outils : la responsabilité de la société-mère des faits délictueux de sa filiale, l’action en « discovery » et les « dommages et intérêts punitifs ».

Trop souvent, les personnes morales poursuivies utilisent la complexité intrinsèque des groupes de sociétés pour se protéger et fuir leur responsabilité. Le droit de la concurrence a montré l’exemple en retirant le voile d’ignorance constituée par la théorie de l’autonomie de la personne morale et en sanctionnant le véritable bénéficiaire des manœuvres déloyales. Le droit de l’environnement lui a timidement emboîté le pas après l’affaire METALEUROP. Pourquoi ne pas étendre une telle solution à tous les comportements délictueux ou dolosifs qui profitent directement ou indirectement à la société-mère ?

Dans les procès, les victimes se heurtent aux silences jalousement gardés, aux omissions volontaires ou aux dissimulations organisées. Savez-vous par exemple que dans le dossier AZF, il a été très difficile de trouver un expert chimiste indépendant de l’industriel ? En ces temps de disette budgétaire, les laboratoires de recherche dépendent trop souvent de bailleurs de fonds privés qui n’hésitent pas à les bâillonner à coup de clause de confidentialité. Faute de preuves suffisantes, et pour cause, elles sont planquées, le juge déboute les plaignants. Pour éviter ces situations iniques, il est temps d’instaurer un mécanisme de discovery qui  « fait obligation à chaque partie de divulguer à l’autre partie tous les éléments de preuve pertinents au litige dont elle dispose (faits, actes, documents …), y compris ceux qui lui sont défavorables, et ce, par différents moyens (déposition sous serment, question écrite, mise en demeure de communiquer des documents, demande de reconnaissance ou de démenti d’un fait ou d’une allégation …). L’objectif est de garantir davantage d’égalité et de justice entre les parties, et d’abréger un procès en permettant l’élimination de certains points qui ne sont pas véritablement contestés » (Rapport du ministère de la Justice, 2005).

Enfin, si l’on souhaite réellement moraliser les externalités négatives générées par les comportements abusifs, les auteurs des infractions doivent savoir que leur comportement leur coûtera plus cher que les maigres amendes prévues aujourd’hui par les textes. Outre la réparation intégrale du préjudice subi par chaque victime, il s’agit de priver l’auteur de la faute de tout gain dont il aurait pu bénéficier. L’idée est simple : pas question qu’un comportement fautif enrichisse son auteur. Là encore, rien de nouveau sous le soleil, les sanctions pour entente prononcées par les autorités de la concurrence prouvent qu’une telle technique n’est pas étrangère à notre droit.
 
En l’état, l’action collective proposée par le gouvernement est une réforme « Canada dry » dépourvue d’efficacité réelle. Il appartient aux parlementaires d’améliorer ce texte imparfait car préparé par Bercy avec le seul prisme économique, retrouvant ainsi l’inspiration présidentielle. Si l’action collective constitue un « choix de société », alors prouvez-nous que vous n’avez pas opté pour la « société de marché » en réaffirmant la primauté du politique sur l’économique et en reconnaissant un nouveau droit d’action aux citoyens.
 


[1] http://www.droits-justice-et-securites.fr/2012/01/soiree-debat-avec-francois-hollande-le-6-fevrier-2012-pour-la-sortie-du-manifeste-de-la-justice-du-club-djs/
 
Retrouver cet article sur notre blog Mediapart.




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Christophe Lèguevaques


Avocat au barreau de Paris - Docteur en droit


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Christophe Lèguevaques est membre-fondateur de METIS-AVOCATS AARPII - Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle Inter-barreaux


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